Agata Siecinska

Peindre à en crever le bleu du ciel.

Au commencement, surgirent une truite enclavée dans un rituel païen, un christ dominé par le cliquetis des tenailles, la bleue, le blanc, le tout portés par les yeux verts stridents d’une sauvageonne slave de haut rang. Puis strate par strate, m’apparut l’édifice monumental d’une oeuvre bâtie sur les stigmates de la nature humaine. Je découvrais, ébranlé, une peinture qui donnait enfin toute sa place a la malversation des êtres. Magistrale, bouleversante et analytique à la fois, le souffle d’ Agata animait les déchirures multiples des enveloppes charnelles, sa touche précise et lourde donnait corps a la complexité de l’âme, à l’inavouable, au trouble, à l’indicible. Je trouvais face à moi le chantier gigantesque d’une grande maçonne du chaos des chairs et des sentiments, d’une alchimiste du placenta identitaire.

Agata Siecinska a grandi dans la Pologne des années 70, cernée par l’omnipotence des images religieuses et par la grandiloquence héroïque du réalisme socialiste. Pour antinomiques d’un point de vue idéologique ces deux mode de propagande n’en célébraient pas moins le culte de la personnalité tantôt méritocratique tantôt compassionnel. A la fois fascinée, par leur aura quasi pariétale et réactive a leur dogmatisme, la jeune artiste développe dés lors un goût et une attirance prononcées pour la vie près des frontières, sur les failles, dans la part sombre, discontinue des êtres, tout en sacralisant leurs tares et leurs inadéquations.

A son arrivée à Paris au début des années 80, elle utilise et mêle dans des compositions rigoristes, drapés synthétiques et assemblages mécaniques, telle une horlogère de la sémantique elle commence ainsi à bâtir, pièce par pièce, sa formidable entreprise à explorer les êtres. Cette période d’apprentissage formel est marquée par l’attention qu’elle porte aux objets manufacturés, non en tant que ready made mais comme vecteurs de transmission d’un savoir faire ou défaire, son œuvre est alors mosaïque de signes, elle crée un nouveau codex du travail où le corps apparaît comme un simple rouage.

Dans les années 90, AS va se réapproprier l’iconographie des institutions catholiques et socialistes et les adapter à sa quête des anti-héros de nos sociétés modernes, aux exclus de la bienséance, aux décalés, aux singularités. Elle va ainsi poser un alphabet à la Bataille [Georges], autistes, transsexuels, vieux en fin de droit de vivre, une véritable revue patriotique, ponctuée, rythmée par l’instrument, l’outil, les bras armés de nos systèmes productivistes, objets de lien et d’aliénation ; autant de reliques désuètes pour tous ceux là qui naviguent désormais hors la norme sociétale. Agata Siecinska, elle, les réinsère, les impose à la peinture de genre, baroque elle l’est pour les besoins de la cause, elle bouscule les standards, mêle l’incongru, le déplacé à son alter ego standardisé et élève l’ensemble au rang du divin; le vieillard devient détenteur de la force publique, l’handicapé porte à bout de bras l’athlète, tout converge a souligner les fractures de la condition humaine tout en la célébrant dans sa complexité. AS détourne alors le réel, elle trame ses compositions sur le lit d’empreintes sérigraphiques, l’impression préalable structure, anime et trouble à la fois la venue de la couche picturale, hiératiques tout autant que dynamiques ses toiles nous toisent jusqu’au malaise.

 

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Les années 2000 marqueront un tournant décisif dans son approche plastique, l’impression numérique, découverte à l’atelier Bramsten, simplifie son accès à la genèse du sujet et va fluidifier le passage du fonds à la forme, elle façonne dés lors des squelettes plastiques dans des linceuls de papier et d’étoffes pour les habiller ensuite d’une chair d’acrylique et de pigments. On pense alors a Géricault, les jets d’encres saturés succèdent au bitume et densifient les fonds, les cadavres si chers à Théodore s’animent et prennent d’eux même leur place sur la toile, on imagine aussi un Cimabue qui se serait vu confié une chambre photographique ; pourtant nulle complaisance morbide dans le travail d’Agata, un hymne à la vie et à ses cris, ses icônes du XXIème siècle sont Sohane, cette martyr laïque, lapidée pour s’être refusée, Human Bomb, kamikaze anonyme sanctifié dans son acte désespéré, c’est encore Lilith revisitée, la libre, l’impure, se refusant à procréer. A.S. touche ici au sublime, le regard est transcendé par cette symbiose éclatante d’une peinture ciselée sur une réalité exhumée, transfigurée, révélée enfin.

Rares sont les artistes qui accèdent au langage universel, Agata Siecinska fait incontestablement partie de ce cercle des maudits, car trop explicite de leur vivant, leur peinture reste pour beaucoup et pour longtemps, intraitable, insoutenable. Gageons que son œuvre, “architectybride”, incommensurable, témoignage éclatant, à vif, de son temps, prendra au fil des ans toute sa place dans le livre d’or de l’histoire de l’art, là où les artistes signent en lettre d’huile et de sang les pages essentielles de l’humanité, les yeux tournés vers le bleu du ciel..

Frédéric Roulette
Galeriste – Commissaire d’exposition

 

Peintre née en 1960 à Varsovie, Vit et travaille à Paris

Diplômée en 1984 de l’ENSAD Paris, Beaux Arts de Varsovie [1979 à 1981]

 

EXPOSITIONS PERSONNELLES

2016    
Autoportraits, Galerie les Singuliers Hors les Murs, Espace Basfroi, Paris

2008
« Icônes Party », Musée du Montparnasse, Paris

2004
« Mater », Galerie Les Singuliers, dans le cadre de NOWA POLSKA

2003
« Corps du sacré », Espace Chateauneuf, Tours

2000
« Œuvres récentes », Galerie Les Singuliers, Paris

1999
« Chemins de croix », Œuvres choisies 1986/1990, Galerie les Singuliers, Paris
Galerie L, Saint-Etienne

1996
« Aux frontières du réel », Siège SNVB, Paris

1995
« De la souillure » – Galerie Frédéric Roulette, Paris

1987 
Galerie Brama, Varsovie

 

EXPOSITIONS COLLECTIVES

2017  
Exposition inaugurale, Galerie Frédéric Roulette, Paris

2015 :  Artistes de la Galerie, Galerie les Singuliers, Paris

2014 : «  Freak Wave », Point Ephémère, Paris

2013 : « Pères et Impairs », Galerie les Singuliers, Paris

2012 : « Freak Wave », Musée de l’Erotisme, Paris

2011 : « Zarpataedo », Musée du Montparnasse, Paris

2009 : « Violentes Femmes », Musée du Montparnasse, Paris

2006 : « Violentes Femmes », Galerie Varfok, Budapest avec le soutien de l’Institut Français

2005 : « Violentes Femmes », Chateau de Tours, Tours

2004 : « Les Singuliers », Galerie Louvre, Prague

           « l’Humanité », Fête de l’Humanité, Parc de la Courneuve

1999 : « 3 artistes du réel » avec Marc Gérenton et Fabian Cerredo,Galerie Blanche, Paris

1997 : « Paysages de l’âme », Galerie Les Singuliers, Paris

1996 :  Artistes de la Galerie,Galerie Frédéric Roulette, Paris

1994 :  Artistes de la Galerie,Galerie Frédéric Roulette, Paris

1986 : «  Promenade dans l’univers de 44 graveurs polonais »,Espace Processus, Paris

 

SALONS ET FOIRES 

2017
DOCKS ART FAIR – Lyon

2015
CUTLOG, Paris

2014
CUTLOG, New York

2012
OUTSIDER ART FAIR, New York

2009
CUTLOG, Paris

2005
SCOPE LONDON

2003
START, Strasbourg

2001
ART PARIS, Paris

2000
ART PARIS, Paris

1999
ART PARIS, Paris

1996
SAGA, Paris

1995
ART JONCTION, Cannes

1992
FIGURATION CRITIQUE, Grand Palais, Paris

1988
BIENNALE DE GRAVURE, Cracovie – TRIENNALE DE DESSIN, Wroclaw

 

COMMANDES PUBLIQUES ET PRIVEES

2015
Intervention pour le cabinet KING and SPALDING, Paris

1996
Réalisation d’un vitrail pour la caisse régionale du Crédit Agricole Val de France, Chartres