Anouchka Desseilles

Le monde s’est tu pendant que nous mourions

Mes derniers dessins tournent autour de l’idéologie de la domination.
Je me suis appuyée sur l’ouvrage d’Anne Lafont : « L’art et la race, l’Africain (tout) contre l’oeil des Lumières » qui analyse au XVIII e siècle la représentation des Noirs dans l’art Français avant l’abolition de l’esclavage.

Mon idée première était de représenter des amis dans leur quotidien en 2020, après mon dernier voyage au Sénégal en 2018. D’abord, je me suis attachée à un thème universel: l’adolescence, en faisant correspondre des dessins avec des extraits des romans d’Alain Mabanckou. Ensuite, je me suis interrogée sur l’indécence de représenter des individus d’autres cultures que la mienne. D où cette conclusion : depuis toujours ce qui m’intéresse dans ma pratique de plasticienne, c’est d’interroger les rapports de domination dans nos sociétés quels que soient les continents.

Donc, je suis restée attachée à l’idée de peindre des amis dans leur cadre quotidien, en insérant dans l’architecture d’une maison, dans le rétroviseur d’un scooteur des fragments de peintures issues de l’iconographie du XVIII ème Siècle. Souvent, il s’agit de page noir accompagnant une aristocrate blanche, induite par ailleurs par la théorie des contrastes du clair et du sombre.

Dans mes dessins, au lieu de mettre en avant la figure de l’aristocrate : la maîtresse française du roi d’Angleterre : « Louise de Keroual » du peintre Pierre Mignard par exemple ; j’étête son visage par le cadrage, pour faire apparaître de manière éclatante, les portraits d’amis qui eux même prennent la place du serviteur, d’habitude caché ou utilisé comme faire-valoir.

C’est une manière de renverser l’ordre hiérarchique, de défaire les codes de l’histoire de l’art du XVIII ème Siècle (représentation de l’autre, classes sociales, genres). En mettant en exergue la gracilité des mains féminines, étoffes, corsages ouverts de ces dames ; il s’agit aussi de me jouer de leurs aspects trop séduisants : attitudes langoureuses qui s’affichent comme une invitation à une caresse.

Sans aucune volonté de jugement moral, il s’agit juste d’être conscient, lucide face à ces représentations érotiques qui associent le corps féminin à des « potiches » à côté de corbeilles de fruits, fleurs, coquillages. Autant de métaphores érotiques, sensuelles, impliquant une forme d’hégémonie raciale, ou de classe sociale. Ces images qui ont bercé l’histoire des arts visuels faite par les hommes interrogent également nos manière de représenter aujourd’hui.

Anouchka Desseilles