EXPOSITION DES DERNIÈRES OEUVRES DE Anouchka Desseilles. Jusqu’au 17 septembre 2021

Le Monde s’est tu pendant que nous mourions

du 19 mars au 17 septembre 2021

Galerie Frédéric Roulette – Paris

 

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« Je m’agite dans une vie rugueuse dont les deux pôles sont constitués par la vermine et une extravagante poésie . Vivant au milieu de fous sordides et lyriques comme ceux au milieu desquels aujourd’hui je vis, je crois que je puis être encore fier d’avoir assez de bon sens pour observer tout cela lucidement… »

Lettre du 31 août 1932 Michel Leiris, L’Afrique fantôme

 

Mes derniers dessins tournent autour de l’idéologie de la domination.

Je me suis appuyée sur l’ouvrage d’Anne Lafont : « L’art et la race, l’Africain (tout) contre l’oeil des Lumières » qui analyse au XVIII e siècle la représentation des Noirs dans l’art Français avant l’abolition de l’esclavage.

   Mon idée première était de représenter des amis dans leur quotidien en 2020, après mon dernier voyage au Sénégal en 2018. D’abord, je me suis attachée à un thème universel: l’adolescence, en faisant correspondre des dessins avec des extraits des romans d’Alain Mabanckou. Ensuite, je me suis interrogée sur l’indécence de représenter des individus d’autres cultures que la mienne. D où cette conclusion : depuis toujours ce qui m’intéresse dans ma pratique de plasticienne, c’est d’interroger les rapports de domination dans nos sociétés quels que soient les continents.

Donc, je suis restée attachée à l’idée de peindre des amis dans leur cadre quotidien, en insérant dans l’architecture d’une maison, dans le rétroviseur d’un scooteur des fragments de peintures issues de l’iconographie du XVIII ème Siècle. Souvent, il s’agit de page noir accompagnant une aristocrate blanche, induite par ailleurs par la théorie des contrastes du clair et du sombre.

Dans mes dessins, au lieu de mettre en avant la figure de l’aristocrate : la maîtresse française du roi d’Angleterre : « Louise de Keroual » du peintre Pierre Mignard par exemple ; j’étête son visage par le cadrage, pour faire apparaître de manière éclatante, les portraits d’amis qui eux même prennent la place du serviteur, d’habitude caché ou utilisé comme faire-valoir.

C ‘est une manière de renverser l’ordre hiérarchique, de défaire les codes de l’histoire de l’art du XVIII ème Siècle (représentation de l’autre, classes sociales, genres). En mettant en exergue la gracilité des mains féminines, étoffes, corsages ouverts de ces dames ; il s’agit aussi de me jouer de leurs aspects trop séduisants : attitudes langoureuses qui s’affichent comme une invitation à une caresse.

Sans aucune volonté de jugement moral, il s’agit juste d’être conscient, lucide face à ces représentations érotiques qui associent le corps féminin à des « potiches » à côté de corbeilles de fruits, fleurs, coquillages. Autant de métaphores érotiques, sensuelles,  impliquant une forme d’hégémonie raciale, ou de classe sociale . Ces images  qui ont bercé l’histoire des arts visuels faite par les hommes  interrogent également nos manière de représenter aujourd’hui.

Anouchka Desseilles   

  

 

Texte de François Julien Paris – 2016

DESSEILLES ET D’AILLEURS

Un, deux, trois, Anouchka a Africa se va, cahin caha, dans l’expectative et le fracas, elle chemine a l’avenant, à l’aventure du levant. Elle porte dans ses bagages la glaise du nord, celle qui rougeoie au contact du cœur, du la- beur des hommes et avec laquelle elle a dépeint les paysages et les travailleurs du Pas de calais de son enfance. Du cabotinage au vagabondage dans un improbable camion frigorifique Tiznit Tan Tan, Tarfaya, Kafountine via Bir Gandouz Réminiscences, insouciance, puis vient la fulgurance des paysages d’Afrique, la lumière vive et saturée de ciels immenses, un peuple multicolore, et dés lors tout est bousculé.

Contemplative elle s’attache d’abord au motif, surgissent des paysages lancinants, sensibles , sorte d’impressions soleil devant, puis viennent les paradoxes d’un peuple, ses codex, son rapport à la vie qui n’ont que faire du Toubab et de ses règles continentales. Elle s’immerge alors dans l’ère africaine, adopte son rythme, se confond dans l’errance lumineuse et chaotique d’une société première. Sa peinture s’affirme, à la fois chaleureuse et brutale, addictive et insurgée, à la manière de ce qu’elle vit, résolue au réel et à sa part d’indicible. La violence côtoie l’espérance, les gamins hilares peuvent être affamés, les femmes bariolées, harassées dans leur dignité, les douaniers véreux amadoués ; la nature y dicte ses règles draconiennes, faire fi des carences et de la distance et malgré tout se laisser conditionner par les stigmates du colon, partout le packaging des produits importés, du riz, des sodas, des envies sous vide.

Ici tout est force et tout est contraire, mais tout prend place, Anouchka aussi. Sa touche prends dés lors la mesure des êtres , de l’échelle des valeurs coutumières ; de simple témoin elle glisse nonchalamment, profondément jusqu’aux racines, à l’embrun, à l’expression d’un monde autre. Pour autant sa peinture, ses carnets de voyage, ne prennent pas la teneur exotique qui distancie l’auteur de son sujet, elle de- meure présente, impliquée dans des liens sociétaux qui la questionnent à en rugir. L’homme et le cobra auront beau s’introduire dans sa case, elle ne ressentira la peur ni avec l’un, ni avec l’autre, car elle est déterminée a ne pas se laisser happer mais à prendre faits et actes ici. Sa peinture en sera l’acte de foi, l’arbre de vie, elle y déploiera les feuillages d’un récit initiatique dont les héros seront ces êtres avec lesquels à l’orée du bois sacrée, au village, au milieu de nulle part, elle aura partagé une part d’humanité. Elle a conscience que malgré les rires, l’hospitalité, la confiance, ici aussi, ça tourne pas rond, que peindre ne prends du sens que quand le sens donne à peindre du sens. Elle va travailler ses toiles comme on gâcherait du plâtre, son geste sera nourricier, fresco. Son regard y déploie sa trace, en grand, en large. Là sa peinture s’éveille ; le roulis de la vie, les cris, les espoirs, illuminent les visages et les corps qu’elle anime La terre est sa matière première, du limon à l’argile, elle y extrait la chair qui compose sa puissante galerie de portraits. Ses carnets de voyage demeurent le fil d’Ariane de son périple, ils la ramènent sans cesse à l’essentiel, aux simples moments de partage, à l’importance de l’écoute, à la vérité des situations, à l’exactitude de l’instant. Anouchka Desseilles nous transmet une part d’Afrique, roublarde et majestueuse, généreuse et hébétée, ostensiblement en sommeil et exacerbée. Sa peinture si elle peut nous rendre la vie plus belle nous la dévoile plus incertaine.