L. P. Promenheur

Oter son chapeau devant le réel. Prendre note. Se retirer, sur la pointe des pieds, par pudeur. Scrupuleusement. Tel est le sens de ma démarche picturale.

Exécuter systématiquement sur le motif, en tous lieux, à même le sol, au pinceau, noir, sur de grands panneaux de carton badigeonnés de blanc.

Un seul sujet : Le Réel, le Réel et rien d’autre ! La mélancolie hautaine de ce temps indifférent qui efface tout et nous même sur son passage : une feuille agonisante, un tronc d’arbre abandonné, la silhouette furtive, courbée d’une vieille dame, celle d’une jeune inconnue avalée aussitôt par l’inexorable oubli ; ou vision campagnarde, ces pintades de basse-cour inconscientes de leur destin.

Instantanés dont seul l’essentiel est capté, vite, dans l’urgence, sans omettre un zeste de la complexité du détail ; en allant au delà l’on tomberait dans cette Indiscrétion que j’ai en horreur absolue.

Il s’agit bien là de peinture et non pas de croquis noirs sur blanc. Je revendique une minutie quasi classique mariée à la synthèse fulgurante du trait japonisant, tacheté d’éclaboussures vivifiantes. Je ne m’intéresse qu’au contour par politesse. Le mystère des êtres ne me regarde pas. On ne fait jamais le portrait de qui ou de quoi que ce soit ; on fait le portrait d’un instant que l’Art transmute en Eternité immobile et fatale, effaçant tout ce qui paraitrait être une intrusion personnelle, au profit de la dignité de l’anonymat universel des formes. D’où le titre de cette exposition : Le Devoir de Rareté. Tout est rare. Il faut le rappeler. Opposer à la pathologie du « Paraître », la thérapie du « Disparaître », de l ‘effacement du «soi ». Ne dire que l’essentiel. Rien de plus. J’applique ces préceptes tant à mon œuvre qu’à moi même et m’efforce d’être un anonyme du XXIème siècle.

Citant Kierkegaard : Je m’intéresse à l’intensité et non à l’extension.

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L.P. Promenheur, comme il se présente lui-même, est un artiste modeste mais de grand talent. Sur des supports humbles en carton blanchi, il campe des silhouettes saisies sur le vif dans le tourbillon et la grisaille de Paris. Des inconnus qu’il dessine d’un trait ferme et auxquels il rend hommage parce qu’ils avancent, font mouvement, souvent en claudiquant, parfois avec grâce. Son dessin en noir et blanc est effectué au ras du sol, quasiment sur le trottoir. On ignore si ses personnages sont puissants ou misérables, beaux ou laids, influents ou réduits à eux-mêmes. A vrai dire, peu importe ce que cherchent ces inconnus. Ils ont en commun de déambuler dans les rues. L’essentiel réside en ceci qu’ils vivent, grands dans l’anonymat, en mouvement dans un monde figé dans l’angoisse. L.P. Promenheur les sert par le geste. Par son geste. Son coup de crayon magistral, précis, fluide met la beauté en action, autrement dit il comprend ce qu’est la grâce. Non pas la grâce d’en haut, celle de tous les jours, dont nous avons besoin pour donner sens à nos vies. Avec lui, la chaussée grise devient notre Ciel.
Remi Huppert