Martin Lartigue

Le Roman de Martin

La vie et l’oeuvre de Martin Lartigue tiennent plus du romancero picaresque et d’un Quichotte qui lui est si cher, que du parcours convenu d’une artiste plasticien. Elevé non loin de la butte Montmartre il y découvrira aux détours des ateliers ses premières effluves d’essence de de térébenthine et d’encres lithographiques.

Son père Dany, ayant repris bien haut le flambeau de la peinture que son célèbre père avait délaissé au profit d’une œuvre photographique considérable, le petit dernier d’une fratrie de trois bonhommes, accompagnera crânement son père chez le marchand de couleur.

Pourtant si Dany connu un succès fulgurant notamment après la guerre au sein du groupe des Mains éblouis, défendu par Aimé Maeght puis par le marchand David , le jeune Martin n’en connaîtra pas l’éclat, les aléas du marché de l’art parisien reléguant Dany et quelques autres dans l’ombre d’artistes à la mode. Dés lors sa passion pour la peinture sera quelque peu ternie par la précarité de la vie familiale d’artiste.

Le jeune Martin gardera de cette période un goût prononcé pour les belles huiles achetées avec parcimonie chez Lefebvre Foinet et une passion pour le monde animal. De par son père en premier lieu,adepte de la figuration poétique et grand amoureux des papillons (sa collection est aujourd’hui réunie dans son atelier/musée à Saint Tropez) puis par son oncle Joel, fils du décorateur Pico, dessinateur, rattaché à la muséologie, avec qui il partagera moultes récits et considérations sur la gente animale et qui lui fera découvrir un autre versant et non des moindres de la peinture, son histoire et ses maîtres.

La vie et l’amitié qui liait ses parents à Yves Robert, fit que Martin et son frère François vinrent traîner leur guêtre dans le film devenu culte de la guerre des boutons, dés lors il endossa la casquette, qui ne l’a d’ailleurs jamais quitté depuis, du P’tit Gibus et fit vœu de devenir comédien. De Bébert et l’omnibus au Mariés de l’an II en passant par des apparitions au théâtre avec les Branquignols, cela suivait pas mal son cours et si le dessin l’avait toujours accompagné, son chemin semblait plus tracé sur les planches que sur les toiles.

Et patatras, le voilà mis à bas de sa rossinante par le géant de la providence ; on le sait peu mais si ma génération doit beaucoup au film de Blier, Les Valseuses, l’histoire de l’art lui devra quand à elle d’avoir ramené ML, à qui l’on préféra Dewaere, vers l’héritage pictural familial.

ML va rompre  avec les feux de la rampe et leur préférer une retraite monacale, mais plutôt façon Chartreuse ou Bénedictine comme dirait Audiard, dans un village près de Nimes.

Au milieu d’une petite oliveraie il va à sa manière renouer avec la peinture, en instituant notamment, s’en réjouissent Messieurs Freud et Cervantes, une sacro-sainte inspiration issue de ses rêves. Je peux en attester pour avoir fait plusieurs séjours à Sommières, nul n’était autorisé à le déranger durant la sieste, source première de son travail de plasticien.

Fort de cette base et de ce mode opératoire que n’aurait pas renié le même Audiard, Daudet et consors, il va confronter cet existentialisme fantasmagorique à un voyage initiatique sur les routes de France,d’Espagne et du nord de l’Europe. Il va s’y nourrir, vont ainsi s’entremêler, les ciels de Beauce, Jerome Bosch, les Châteaux de la Loire, Goya, Brueghel, les corridas, et surtout et c’est là que ce mot prend tout son sens, le roman, l’art roman.

Car il nous faut maintenant revenir à l’essentiel du propos, la peinture de Martin Lartigue ; qui n’est pas familier avec ce que je viens d’évoquer plus haut ne pourra pas l’aborder dans sa globalité.

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La singularité de l’oeuvre de ML, tient dans la diversité de ses sources, de leur éclectisme aussi. L’art roman, notamment catalan y côtoie tant les livres d’heure moyenâgeux, que la bande dessinée ; le souffle permissif soixantehuitard y prend des accents rabelaisiens, Jérome

Bosch y croise Clovis Trouille, sa démarche semble narrative et pourtant ce qui frappe d’abord dans son œuvre ce sont ses qualités de compositeur et de coloriste.

Sa peinture et son corollaire la céramique sont organiques. Malgré les références, son traitement et sa problématique ne sont emprunts de nul passéisme son œuvre participe au décloisonnement des genres, car n’en déplaise à Mr Dubuffet, l’expression première n’est pas dénuée de connaissance, de prise de conscience, de positionnement, elle est juste immédiate et universelle.

L’art moderne s’est bâtit sur la maxime d’Hokusai, Apprendre pour Oublier, Martin fait partie d’une génération d’artistes qui a privilégié l’humanité sur l’apprentissage, nul oubli n’en devient donc indispensable, puisque l’oeuvre est empirique, en mouvement avec son temps et à contre temps, une contre culture, toute contre et contre à la fois, en pied de nez à l’art officiel.

Cette génération du Interdit d’interdire a vécu la fin des trente glorieuses et le bien au contraire qui allait avec, alors elle s’est effectivement tout autorisée y compris de communier de manière iconoclaste avec les anciens dans des rituels foutraques ; c’est en cela que le travail de Martin Lartigue, que l’on a, à plusieurs reprises, tenter de parquer dans le ghetto de l’art brut, a rejoint dès 1988, au sein de ma galerie, d’autres acteurs majeurs, dans la lignée du groupe Bazooka, de ce que l’on qualifiera sans doute un jour de nouvelle vague libertaire des années 80/90.

En attendant carpe diem avec la peinture et la céramique de Martin, plutôt que de longs discours savants, profitez en pleinement, elles sont truculence et sophistication, poésie et revendication, savoir et déboires, rarement une œuvre aura donné lieu à autant de niveaux et de possibilités de lecture.

Frédéric Roulette